Sur la qualité des programmes, trop peu de différences… Mais entre le privé et les chaînes publiques, un fossé de taille : leur coût de fonctionnement, à la charge du contribuable. Avis de gros temps sur les chaînes publiques ! Remis la semaine dernière à Nicolas Sarkozy, le rapport de la commission Copé, qui s’attaque à la question de leur financement, n’est que le début d’une vaste remise en ordre. Car, au-delà de la polémique autour de la présence ou non de la publicité à France Télévisions, les questions qui fâchent n’ont pas encore été posées : pourquoi, à qualité égale, le public coûte-t-il plus cher que le privé ? Est-ce au contribuable de financer davantage sa gestion ? France Télévisions est-elle d’ailleurs encore un vrai service public ? Des économies salariales sont-elles envisageables ? Valeurs actuelles ouvre le dossier. E.B. Bonne ou mauvaise idée ? L’annonce de l’arrivée, à la rentrée prochaine, de Julien Courbet, tout droit venu de TF 1, sur les antennes de France 2 n’a pas manqué d’irriter certains téléspectateurs, adeptes d’une saine division du travail : au privé, l’Audimat, au public, la qualité qui sied au service… du public ! Premier choqué, à en croire le Parisien, Nicolas Sarkozy, furieux d’un tel choix. Au point de le faire savoir à Patrice Duhamel, le directeur général de France Télévisions, chargé des antennes. Lequel, pris au dépourvu, aurait fait valoir, justement, le caractère de “service public” de l’émission qui sera confiée à Julien Courbet.

France Télévisions est-elle encore un service public ?

Qu’importe, au fond, que cet épisode se soit ou non déroulé exactement comme le quotidien l’a décrit : il traduit bien le malaise entourant le contour des missions qui doivent être dévolues au service public de l’audiovisuel. Et une situation passablement schizophrène : les antennes de l’audiovisuel public doivent-elles privilégier la programmation d’émissions d’information et d’émissions culturelles, qui en appellent surtout à l’intelligence des téléspectateurs, au risque de faire une faible audience ? Ou doivent-elles mettre en avant des rendez-vous qui réunissent devant leur petit écran le plus grand nombre ? Bref, les Français peuvent-ils contribuer au financement d’une télévision publique haut de gamme qui pourrait ne pas tous les concerner ? A contrario, est-il légitime de demander aux contribuables de participer au financement de chaînes que rien ne distinguerait plus vraiment du secteur privé ? Vaste et complexe débat, jusque-là jamais tranché. Faute d’avoir reçu de l’État actionnaire des lettres de mission claires, les dirigeants qui se sont succédé à la tête de la télévision publique ont appris à naviguer à vue et à ménager la chèvre et le chou. Sans doute mieux que d’autres, Patrick de Carolis et Patrice Duhamel ont-ils pris la mesure de cette insoluble dualité, entre programmes de bonne facture intellectuelle et émissions plus populaires susceptibles de capter la plus forte audience possible. Et parce que leur goût personnel pour les choses de l’esprit est avéré, l’offre de rendez-vous culturels n’a jamais été aussi étoffée. Ce dont ne semblent d’ailleurs pas se plaindre les Français. Comme tend à le démontrer une enquête d’opinion exclusive de TNS Sofres pour l’hebdomadaire professionnel CB News, parue il y a quelques semaines, les termes qui définissent le mieux les chaînes publiques sont information (32 %) et culture (17 %), ceux qui correspondent le mieux aux chaînes privées sont audience (20 %) et publicité (18 %). Reste que la clarté est loin d’être encore totale. Et ce n’est pas le moindre des mérites de la commission Copé que d’avoir confirmé la nécessaire offre de programmes de qualité qui devrait être le propre du service public, tout en suggérant un renforcement de l’identité de chacune des chaînes qui composent le groupe France Télévisions : ainsi verrait-elle d’un bon œil France 2 se positionner comme une grande chaîne populaire, France 4 comme la chaîne de l’innovation et des nouvelles écritures, tandis que France 5 conserverait sa mission de savoir, de décryptage et que RFO se transformerait en chaîne généraliste de proximité. Quant à France 3, elle propose que, de chaîne nationale avec des décrochages locaux, elle devienne, à terme, la chaîne des régions avec un décrochage local. Le tout couronné par un regroupement des quarante-neuf filiales de France Télévisions en une entreprise unique, dont le président du conseil d’administration pourrait être désigné par l’exécutif, après avis du CSA et sous réserve qu’une majorité qualifiée de parlementaires n’y fasse obstacle. Là encore, un seul dessein : gagner en lisibilité et en efficacité

Qui doit payer ?

Supprimer la publicité afin que le service public de l’audiovisuel soit en mesure de se concentrer sur ses missions ? Oui, encore faut-il trouver les ressources de substitution. C’est ce à quoi la commission Copé s’est employée, pour l’essentiel. Pas une mince affaire, plutôt même un vrai casse-tête, que la compensation des quelque 650 millions d’euros que le groupe France Télévisions engrange chaque année en vente d’espaces pu­blicitaires. D’autant que cette somme ne tient pas compte du coût des programmes nouveaux qui viendraient en remplacement de la publicité. Augmenter la redevance ? L’idée avait ses défenseurs : à service public, fi­nancement public ; à secteur privé, ressources commerciales. D’autant que la redevance audiovisuelle, dont le montant est aujourd’hui de 116 euros, figure parmi les plus faibles d’Europe. Rien à voir avec nos voisins britanniques et allemands, dont la redevance s’élève à un peu plus de 200 euros. C’est l’une des pistes sur lesquelles la commission a commencé de plancher. Jusqu’à ce que Nicolas Sarkozy en exclue définitivement la possibilité, fidèle à ses engagements de campagne. « Ma politique, c’est de diminuer les taxes, de diminuer les prélèvements, de libérer le travail et de faire en sorte que les gens ne soient pas assommés de prélèvements supplémentaires », déclarait-il sur RTL, courant mai. Pour autant, cette solution n’a pas été remisée par la commission, qui propose non plus une augmentation automatique du montant de la redevance, mais une indexation sur l’inflation. Une idée que Nicolas Sarkozy pourrait ne pas retenir non plus. Il ne l’a en tout cas pas évoquée la semaine passée, lors du discours qu’il a prononcé dans la foulée de la remise du rapport de la commission. Autre piste, que la présidence de la République semble vouloir cette fois-ci retenir, la taxation des opérateurs de téléphonie mobile et des fournisseurs d’accès à Internet, à hauteur de 0,5 % de leur chiffre d’affaires. Un taux que l’Élysée souhaite porter à 0,9 %. Un prélèvement qui se justifierait du fait de l’utilisation par ces opérateurs des images produites par les télévisions. Au point d’avoir pu bâtir, en peu d’années, un contenu éditorial riche et une offre alléchante. Et, en particulier Orange, déjà diffuseur à part entière, et qui désormais nourrit d’ambitieux projets dans la production audiovisuelle, après avoir acquis, à prix d’or, une partie des droits de la Ligue 1 de football. Taxer les télévisions privées ? C’est l’autre point fort du rapport de la commission Copé. Le principe retenu : prélever environ 3 % du surplus de ressources que la disparition de la publicité sur le service public est supposée engendrer, en compensation du manque à gagner pour l’État de l’affectation à France Télévisions de la part de redevance qui revenait jusque-là à l’Ina. Mais, confrontées à un marché hyperconcurrentiel, TF 1, M 6 et Canal Plus, réunies sous la bannière de l’Association des chaînes privées (ACP), ne l’ont pas entendu de cette oreille.

La télé publique est-elle mal gérée ?

Dans un entretien au Figaro du 12 juin, Bertrand Meheut, PDG de Canal Plus et président de cette même ACP, a violemment fustigé l’idée que les chaînes privées financent leurs concurrentes publiques. Et d’enfoncer le clou : « Selon nous, la suppression de la publicité sur les chaînes publiques après 20 heures entraînera un manque à gagner de seulement 100 millions d’euros pour l’année 2009, puis de 250 millions en année pleine à partir de 2010. Chaque année, France Télévisions dépense 2,7 milliards d’euros ; ce groupe a donc une marge de manœuvre suffisante pour trouver l’essentiel des 100 ou 250 millions en faisant des économies. Il est injuste que la télévision publique n’applique pas les règles classiques de bonne gestion et qu’on veuille faire payer aux chaînes privées la non-volonté d’entreprendre cet effort. » Un point de vue que partage Jean d’Arthuys, le président de Paris Première (groupe M 6). Dans une tribune du Figaro du 28 avril, il en appelait à une révision à la baisse du train de vie de France Télévisions : « Une fois définie l’offre éditoriale du service public, il doit en effet repenser et améliorer son modèle économique. » Et d’ajouter : « C’est une mauvaise manie française de penser d’abord à qui aller taxer de l’argent avant d’examiner comment être plus performant. » De l’analyse de Jean d’Arthuys, on déduit que, sur la base de 1 % de part d’audience, France Télévisions emploie environ 300 personnes ; TF 1, 120 ; et M 6, une petite centaine, trois fois moins ! Autant dire que le service public absorbe des budgets colossaux. Il n’est dès lors pas étonnant que la commission Copé ait susurré des gains de productivité, à hauteur de 140 mil­lions. Face aux syndicats qui s’insurgent et crient à la disparition programmée de l’audiovisuel public, Patrick de Carolis et Patrice Duhamel ne soufflent mot. Tout simplement parce qu’ils n’ont jamais ménagé leurs peines pour faire de France Télévisions une entreprise publique modèle qui échapperait à toute suspicion de gabegie : en signant, en avril 2007, un ambitieux Contrat d’objectifs et de moyens (Com) avec les autorités de tutelle, ils ont, ni plus ni moins, avalisé le principe d’une nécessaire remise à plat d’acquis, touchant à l’organisation et à la gestion même de l’entreprise.

Pourquoi autant d’intermittents du spectacle ?

Là réside le point noir de la gestion du secteur public, judicieuse sans doute pour l’entreprise, mais ruineuse… pour le contribuable. Au 31 décembre 2006, en effet, France Télévisions comptait 6 600 salariés permanents et pas moins de 4 910 intermittents du spectacle. L’inter­mittence du spectacle ? La bête noire de l’assurance chômage. Et de la Cour des comptes. Celle-ci n’a d’ail­leurs jamais manqué, par le passé, d’épingler France Té­lévisions, lui en reprochant le recours abusif, alors que beaucoup d’emplois justifieraient de la seule application du régime général des salariés. Au bout du compte, des centaines d’intermittents enchaînent contrat à durée déterminée sur contrat à durée déterminée, pendant des années, voire tout au long de leur carrière. A priori au mépris du droit du travail, qui fait obligation à un employeur de ne renouveler un CDD qu’une seule fois, et, ce, pour une durée qui ne peut excéder une période de dix-huit mois. A priori seulement. Car France Télévisions, comme Radio France d’ailleurs, appartient à la sphère audiovisuelle, l’un des vingt secteurs d’activité visés par l’article D.121.2 du code du travail autorisés à utiliser des “CDD d’usage”. Lesquels peuvent être reconduits sans limitation de durée et sans délai de carence entre la signature de deux contrats. Du pain bénit pour France Télévisions, qui profite de cette aubaine pour faire l’économie de la prime de précarité due à la fin d’un contrat à durée déterminée du régime général. Du pain bénit pour certains intermittents, ceux à tout le moins qui n’ont d’intermittent que le nom, et dont le régime, pour le moins avantageux, leur permet de cumuler, en toute légalité, salaires et indemnités chômage, selon des règles précises et particulièrement complexes. Une étude, portant sur France 2, France 3 et RFO, menée par des chargés d’étude de l’assurance chômage entre 2006 et mars 2008, témoigne des avantages faramineux de ce statut. Petite revue de détail : le revenu de remplacement mensuel moyen est plus de trois fois supérieur à celui d’un salarié indemnisé au titre du régime général ; pour un nombre de jours travaillés équivalent à un quart de temps ou à un mi-temps, l’intermittent en CDD perçoit une rémunération mensuelle (salaire + allocation chômage) deux fois supérieure à celle d’un salarié à temps plein embauché en CDI. Autant dire un cauchemar pour l’Unedic : en 2005, la branche des intermittents du spectacle accusait un déficit de un milliard, dont plus de 200 millions pour les seuls intermittents du service public audiovisuel. Et l’hémorragie n’est pas près d’être stoppée. Ce phénomène n’a au demeurant rien de marginal dans l’univers de l’audiovisuel : des diffuseurs aux diverses sociétés de production prestataires, tous, peu ou prou, font de l’intermittence du spectacle non une exception, mais une règle. De même qu’il n’est pas vraiment nouveau : il remonte à l’origine même de la télévision, cette époque lointaine où les speakers étaient des comédiens que l’on engageait au cachet. Depuis, son usage a fait florès. Dans un silence assourdissant du législateur. Car, de gauche comme de droite, ceux qui ont tenté d’y mettre bon ordre s’y sont cassé les dents. Et si moult rapports ont tiré la sonnette d’alarme, ils sont restés lettre morte. Qui plus est, cette épineuse problématique ne faisait pas partie du périmètre de la commission Copé. Le projet de loi sur l’audiovisuel public que l’exécutif devrait soumettre cet automne à la représentation nationale ne mettra donc pas fin à cet abus, qui fait le lit de la précarité statutaire de certaines catégories de salariés et plombe sévèrement les comptes de l’assurance chômage. En toute légalité.