Cela fait déjà quelques années que la Russie se trouve être l’objet des pires fantasmes occidentaux, succédant ainsi bien parfaitement à l’URSS qui tenu le rôle d’épouvantail du « monde libre » des décennies durant. Depuis que Vladimir Poutine a prit le pouvoir en 1999, le phénomène se révèle avec encore plus d’acuité: la Russie serait redevenu la bête noire, le monstre géant qui menacerait la sécurité de l’hexagone européen, pays tout à la fois violent et antidémocratique par essence - barbare pour ainsi dire. L’inconscient des occidentaux est gorgé à souhait d’une imagerie plus que négative à propos de ce pays; a peine le nom de « Russie » évoqué que les chars soviétiques, les rues froides et pauvres, les enfants tchétchènes, les millionnaires arrogants, les mafias cruelles, les journalistes assassinés et les durs visages des slaves viennent assaillir notre mentale d’images aussi épouvantables que comminatoires. A côté de celles-ci, rien ne dépareille plus que celle de la richesse occidentale, heureuse et moderne à souhait. Poutine vient parfaire l’image éminemment négative du plus grand pays au monde véhiculé en Europe. Comme celle-ci tremble face à celui dépeint comme un nouveau Tsar ! On l’affuble volontiers d’assassinats d’opposants politiques, de génocidaire en Tchétchénie, de conquérant en Géorgie; bref, de tout ce qui conditionne pour nous un odieux dictateur; et tout ces préjugés viennent se mêler et s'accroître afin que nous le haïssions, nous les occidentaux bon démocrates et bons humanistes que nous sommes. Il est donc temps de faire une petite mise au point sur la sainte Russie et sur ses dirigeants actuels que la plupart des médias accablent tant. D'abord, il faut entrevoir l’Histoire: la Russie sort du plus grand système totalitaire que le monde ait connu, du plus systématique et du plus meurtrier (20 millions de morts en URSS d’après Stéphane Courtois et son « Livre noir du communisme »), un système totalitaire dont la base idéologique fut importé de l’étranger et même financé par l’occident (la révolution de 1917 fut financé par des banquiers américains), base idéologique dont l’Europe est loin de s’être débarrassé tant son système scolaire, politique et syndicale se trouve encore noyauté par les trotskistes et le parti communiste. Ensuite, il ne faut jamais oublier que la Russie fut au bord de la destruction lorsque l’Etat soviétique s’écroula en 1991, le pays perdit plus de la moitié de sa production, le chômage devint endémique et laissa la population dans une perdition des plus totale. La période Eltsine coïncide avec la mainmise de quelques oligarques sur les richesses et avec l’apogée des mafias, tout ça chaperonné par les nombreux conseillers occidentaux qui se précipitèrent en Russie dès que le communisme s’effondra, telle des vautours sur un cadavre. Lorsque Vladimir Poutine accéda à la présidence, c’est un pays exsangue et sans foi en l’avenir qui lui échut alors. On s’imagine souvent Poutine comme un mafieux lui-même entouré de mafieux. C’est une terrible injustice lorsqu’on songe que c’est lui qui fit exiler les oligarques pour que les richesses reviennent à l’Etat - et donc au pays, lorsqu’on songe que c’est lui qui mena une lutte implacable contre les mafias et qui réduisit du coup l’insécurité terrible qui régnait en Russie sous Boris Eltsine. Par une politique économique plus interventionniste et son appui sur l‘énorme potentiel énergétique de son pays, il galvanisa les activités russes et fit redémarrer la croissance. Par une politique du retour de la Russie sur la scène international, il redonna fierté et patriotisme au peuple russe, expédients des plus utiles pour la bonne marche d’une nation et que nous avons, nous européens, oublié depuis bien longtemps. Enfin, sa politique internationale cherche à apporter au monde une alternative à l’unipolarité du système atlantiste. Quoi que l’on pense des méthodes et du style de Vladimir Poutine, ses résultats politiques ne peuvent être contestés, et si les inégalités sociales restent très fortes en Russie, le fait est qu’elles ne cessent de diminuer alors que chez nous elles ne cessent de se creuser. Peut-être serait-il utile que nous réfléchissions à cela avant de donner des leçons… Mais justement, sur les méthodes et le style de Vladimir Poutine, encore faut aussi arrêter de fantasmer. Certes son style virile et décidé choque nos habitudes occidentales du fait que, en politique, nous ne soyons plus coutumier que des postures compassionnelles, émotionnelles et peoples. Mais cette posture là n’est-elle pas à l’image de ce que fut très longtemps la politique lorsqu’elle était encore efficace, c’est-à-dire virile et puissante ? Sur ses soi-disant méthodes antidémocratiques dignes du KGB, là encore notre angélisme bien pensant n’est pas de mise. Dans un pays gigantesque qui sort d’un système totalitaire et qui est gangrené par des mafias, ne demande-t-on justement pas un homme à poigne ? En tout cas, la popularité de Poutine en Russie anéantit nos réserves quant à l’efficacité et les méthodes de l’homme…et que l’on arrête de faire l’autruche, cette popularité n’est pas que le fruit d’une propagande diabolique: les effets sont là, bien présents, la Russie actuel en pleine croissance en témoigne. La question que les Européens devraient se poser, c’est le pourquoi de cette image négative de la Russie et de Poutine. Pour résoudre la question, il suffit de comprendre les enjeux qui soutiennent le problème. Les Etats-Unis ont mené une lutte implacable contre l’Union soviétique, et cette lutte est loin de s’être terminé avec l’effondrement de celle-ci. Une politique inexpiable d’étouffement existe toujours, et en Géorgie, en Ukraine, en Pologne ou dans les pays Baltes, une volonté indue cherche à y établir des bases américaines stratégiques et économiques. Les Russes, voyant leurs frontières menacés, réagissent et se radicalisent. Comment les États-Unis réagiraient-ils si le gouvernement russe faisait de même au Canada ou au Mexique ? Surtout, les Américains craignent absolument le rapprochement de l’Europe et de la Russie. Une unification de l’Eurasie fait aussi peur aux Américains que l’unification européenne aux Anglais du XIXe siècle. La comparaison est pertinente si l’on songe que les Etats-Unis ont, depuis 1945, récupéré le rôle international qui était autre fois dévolu à l’Angleterre; seule l’échelle change, potentiel de puissance oblige. Partant de ce postulat, l’intérêt des Américains est de nous faire accroire que la Russie représente une menace terrible. Gageons bien qu’elle a assez de pouvoir au niveau économique et médiatique pour que nous adoptions ce point de vue. De plus, il suffit de faire passer son dirigeant pour un odieux dictateur et le tour est joué, comme en Irak, et comme partout ou elle voulût intervenir. Le tour est joué. Pour ce qui est de l’image de Poutine, celle-ci se trouve encore plus détériorée par tous les ennemis qu’il a suscité: les anciens oligarques archi-milliardaires exilés à Londres, les néoconservateurs fort vindicatifs après que Poutine ait soutenu Chirac et Schröder dans leur condamnation de l’invasion d’Irak, les sionistes assez décontenancés du rapprochement de la Russie avec l’Iran, les atlantistes n’aimant pas trop que Chavez ait été reçu parfaitement à Moscou, etc. Tout ces gens ont un grand intérêt à faire en sorte que Poutine soit mal vu, et gageons aussi qu’ils aient la puissance pour que cela ne pose pas trop de problème. En ce qui concerne la crise géorgienne dernière, il faut bien ce rendre compte que les grands perdants sont les européens (comme d’habitude). Les Américains ont provoqué cette crise en soutenant plus ou moins implicitement le président géorgien afin de provoquer la réaction des russes. De cette manière, les américains - et surtout les néoconservateurs républicains- se replongent dans un climat de guerre froide ne pouvant que rehausser l’économie et la côte de McCain dans les sondages. Laissant l’Union Européenne s’occuper des sanctions et de la faconde moralisatrice, les Etats-Unis sortent une fois de plus les grands gagnants. Songeons bien, nous européens, que notre intérêt (autant économique, politique que culturel) n’est surtout pas de nous brouiller avec les Russes. Au contraire, il faudrait s’en rapprocher le plus possible afin que l’axe Paris-Berlin-Moscou soit efficient et puisse proposer une alternative au monde globalisé et assujetti à l’empire américain que nous connaissons aujourd’hui. L’intérêt de l’Europe le demande aussi, car face à tous les écueils qui se profilent pour sa sphère civilisationnelle, rien n’est plus nécessaire que de construire cette grande Europe qui, selon les mots même du général De Gaulle, va de Brest à Vladivostok et non pas de Washington à Ankara.