La démission du général Bruno Cuche, chef d’état-major de l’armée de terre, après la dramatique bavure de Carcassonne, est tout à son honneur et à celui de l’armée. A l’inverse de certains grands patrons qui s’accrochent désespérément à leur siège, leurs stock-options ou leur golden parachute, après avoir conduit leur entreprise à l’accident industriel, voir un chef militaire assumer le poids d’un manquement auquel, à l’évidence, il n’a eu personnellement aucune part, témoigne avec éclat du fait que l’armée est bien aussi, entre autres qualités, un précieux conservatoire de valeurs en perdition telles que le sens de l’honneur et de la responsabilité. Ça n’en rend que plus irritante la désinvolture avec laquelle, depuis bien longtemps mais avec une intensité croissante, nos politiques la traitent. Certes, la culture du mépris, qui semble désormais tenir lieu de sens politique au sommet de l’Etat, ne leur est pas exclusivement réservée : hier, c’étaient les magistrats qui étaient comparés à des « petits pois », aujourd’hui les militaires que l’on veut faire passer pour des « amateurs » – demain qui ? Mais on ne peut s’empêcher de penser qu’il y a dans la violence des reproches présidentiels une agressivité particulière vis-à-vis d’une profession dont les valeurs dominantes – esprit de sacrifice et désintéressement – ne sont pas, c’est le moins qu’on puisse dire, dans l’air du temps. Comme paraît singulièrement disproportionnée la hargne élyséenne contre les signataires anonymes, sous le pseudo de “ Surcouf”, d’une tribune du Figaro critiquant le livre blanc – comme s’il était illégitime que des militaires s’expriment sur des choix qui engagent leur existence, au sens le plus concret du terme. Si nos soldats doivent être les éternels sacrifiés des choix budgétaires, pour la seule et simple raison qu’on sait bien qu’ils ne se mettront pas en grève pour protester et qu’ils ne prendront même pas la parole pour émettre des réserves sous peine de sanctions, alors il semble qu’on doive se poser la question : n’est-il pas temps d’en finir avec le sacro-saint “devoir de réserve” ? Si l’on veut éviter une hémorragie de cadres allant chercher ailleurs la reconnaissance et la considération que l’Etat leur refuse, n’est-il pas temps de redonner la parole à la Grande Muette ?