Le 21 juillet 2008 a commencé une semaine “brève mais intense” pour le président vénézuélien Hugo Chavez. En effet, il a entamé un voyage en Europe. Première étape: il a été reçu par son collègue russe Dimitri Medvedev, le 22. Outre ce rendez-vous moscovite, le chef d’Etat latino-américain prévoit également de brèves étapes en Biélorussie, en Espagne et au Portugal. Ce voyage n’a duré que quatre jours mais, avant de l’entamer, Chavez, lors du rendez-vous hebdomadaire et dominical qu’il donne à son peuple, en parlant à la radio, n’a pas hésité à le qualifier de “stratégique”. Il a expliqué en direct durant l’émission “Alo, preidente !”: “Il s’agit d’un voyage très important, je dirais même qu’il s’agit d’un voyage stratégique et géopolitique dont l’objectif est de consolider toujours davantage la position du Venezuela”. A l’ordre du jour, nous trouvons essentiellement la coopération bilatérale dans les domaines du développement technologique, militaire, scientifique et énergétique. Les antennes de la communauté internationale ont donc indubitablement cherché à capter le maximum sur les rencontres du 22 à Moscou. La veille du voyage en Russie, où Chavez est arrivé dans la nuit du 21 au 22, le président vénézuélien n’a fait aucun mystère sur les buts de son périple européen; sur le plan formel, a-t-il dit, l’objectif est “de créer des relations d’amitié sur base d’une sensibilité politique commune”. Sur le plan plus strictement matériel, cela se traduira par la signature de plusieurs contrats, pour des montants de plusieurs millions de dollars, portant sur la livraison d’armes. Le premier citoyen du Venezuela a lui-même évoqué l’acquisition possible, par Caracas, de chars russes et d’autres matériels de haute technologie destinés aux forces armées vénézuéliennes. Des sources, en provenance des milieux de l’industrie militaire russe, citées par de nombreux organes de presse latino-américains, confirment que plusieurs contrats de ce type étaient déjà sur la table autour de laquelle se sont réunis Chavez et Medvedev. Dès le 22, de vieux projets préparés entre le “Palacio Miraflores” de Caracas et l’ancien président russe —et actuel premier ministre— Poutine pourront se concrétiser. Notamment l’acquisition par le Venezuela de trois sous-marins diesel de la classe “Varchavianka” et de la troisième génération. Ce contrat, l’an passé, avait été l’objet d’âpres critiques de la part des pays soumis aux Etats-Unis, qui craignent l’alliance russo-vénézuélienne. Par ailleurs, rappelons qu’en 2006 un embargo unilatéral avait été décrété à propos de la vente d’armes au Venezuela: de ce fait, les Etats-Unis avaient laissé le champ libre à leurs rivaux russes, devenus, en conséquence, les principaux fournisseurs des forces armées du pays latino-américain mis à l’écart de l’américanosphère. En deux ans, les contrats militaires conclus entre la Russie et le Venezuela portent sur un chiffre qui dépasse désormais les quatre milliards de dollars américains. Parmi les accords russo-vénézuéliens qui ont fait froncé les sourcils des atlantistes: la construction, encore en cours, d’une usine de fusils d’assaut fabriqués sur le modèle de la Kalachnikov de la toute dernière génération, l’AK-103, sur le territoire vénézuélien. Pour ceux qui ne cessent de dénigrer la “République bolivarienne” de Caracas, c’est la preuve que les institutions contrôlées par Chavez seront au premier rang pour fournir des armes à tous les guerilleros d’Amérique latine. La signature des deux présidents ne sera finalement que simple formalité: fin juin, le vice-président vénézuélien Ramon Carrizales et le ministre de la défense Gustavo Rangel se trouvaient déjà tous deux à Moscou. Mais l’importance des relations entre Moscou et Caracas ne se limite pas au domaine militaire. Avec la nationalisation des ressources énergétiques, qui s’est opérée au cours des trois dernières années au Venezuela après l’approbation de lois visant à soutenir les atouts de la souveraineté nationale, Chavez a réussi à attirer habilement sur son territoire les grandes compagnies d’Etat russes, elles aussi récupérées et tirées des griffes des capitaux privés et étrangers grâce aux trains de lois impulsés par Poutine au cours de ses deux mandats présidentiels. A la fin de l’année 2006, la Lukoil a commencé à extraire du pétrole des gisements vénézuéliens, tandis que la Gazprom a obtenu, dès 2005, la licence d’exploiter les dépôts de gaz naturel dans le Golfe du Venezuela. Les projets communs dans les secteurs militaire, minier et scientifique connaîtront forcément des développements dans l’avenir, comme l’a d’ailleurs confirmé le ministre des affaires étrangères de Caracas, Nicolas Maduro. Si le point fort reste la coopération militaire, il n’en demeure pas moins vrai qu’ “il s’agit d’une alliance qui permettra à notre pays de rompre le bloc militaire que l’élite américaine cherche à nous imposer”. Les pourparlers en vue de créer une banque russo-vénézuélienne laissent entrevoir des perspectives plus vastes. L’objectif de cette banque sera de financer de futurs projets bilatéraux. L’idée est venue à la suite de la création, sous l’impulsion de Chavez, de la “Banco del Sur”, qui fonctionne déjà en Amérique latine. Nous avons là une autre facette du grand projet d’alternative globale aux actuelles institutions financières privées comme la Banque Mondiale et le Fond Monétaire International, que Chavez a récemment proposé lors du sommet “Petro Caribe”, en suggérant comme futurs partenaires la Russie, la Biélorussie, la Chine, l’Inde et l’Iran. Le voyage en Europe de Chavez ne s’est toutefois pas terminé à Moscou. Le 23, le président vénézuéliens’est rendu à Minsk pour rencontrer son homologue biélorusse Alexander Loukachenko, avec lequel il avait déjà signé des accords bilatéraux en matières d’énergie, de technologie etaussi dans un secteur fondamental pour la Biélorussie: celui de la coopération agro-alimentaire. A Lisbonne, où il s’est rendu après avoir quitté Moscou et Minsk, Chavez a été l’hôte du premier ministre portugais José Socrates. Les deux hommes ont signé de nouveaux contrats de coopération alimentaire et énergétique, tandis que les premiers pétroliers vénézuéliens étaient déjà en route pour le Portugal, comme Chavez l’avait annoncé à la radio, avant son départ. Enfin de périple, Chavez s’est retrouvé en Espagne, où il s’est rendu, non pas tant pour signer certains accords commerciaux, mais surtout pour sceller la paix, à la suite de la querelle haute en couleurs qui l’avait opposé naguère au Roi Juan Carlos. Celui-ci lui avait lancé un peu diplomatique “Mais ne peux-tu donc pas la fermer?” lors du Sommet Ibéro-Américain à Santiago du Chili. Les deux protagonistes de l’algarade verbale semblent avoir enterré la hache de guerre. Chavez a rencontré à Madrid le premier ministre José Luis Rodriguez Zapatero puis s’est probablement rendu dans la résidence royale d’été à Majorque. Chavez avait annoncé et espéré cette visite dans son discours à la radio, sur un ton mi-sérieux mi-facétieux: “J’aimerais bien te faire l’accolade, Juan Carlos, mais tu sais que je ne la fermerai jamais et que je continuerai à parler pour un monde de justice et d’égalité”.