Le clan n’a rien perdu de son influence en Arabie saoudite: il construit des prisons pour djihadistes… Al-Qaida a donné une mauvaise réputation au nom de Ben Laden, en Occident. En Arabie saoudite, il a fait sa fortune. L’organisation terroriste a lancé sa dernière grande opération coordonnée dans le royaume il y a juste cinq ans. Ce fut un échec, soldé par des milliers d’arrestations dans les rangs djihadistes. Les prisons étaient trop petites. Le gouvernement décida d’en construire neuf nouvelles, pour 1,6 milliard de dollars. Unique contractant: le Saudi Bin Laden Group. La famille Ben Laden produit d’une main les candidats au martyre, et de l’autre les cellules pour enfermer les survivants. Rien ne démontre mieux l’ambivalence saoudienne face à Al-Qaida. C’est le sujet d’un livre foisonnant que Steve Coll* vient de consacrer aux Ben Laden. Coll dit tout ce qui peut être su aujourd’hui du clan. Mais il ne sait pas tout. Mohammed, le fondateur, avait 14 ou 15 ans quand il est arrivé de son Yémen natal à Djedda, le ventre creux. Sa réussite dans la construction s’est accompagnée d’une formidable prolifération matrimoniale: 22 femmes, 54 enfants. Oussama lui-même, fils d’une épouse syrienne, s’est marié au moins cinq fois et avait déjà 23 enfants en 2002. Dans un tel arbre généalogique, il ne peut pas y avoir de vérité simple. Après le 11 septembre, le roi a fait d’Oussama ben Laden un apatride en lui retirant son passeport saoudien, et la famille a publiquement condamné son action. Mais au moment où le chef d’Al-Qaida regardait s’effondrer les tours de New York sur son écran dans une base afghane, des cris de joie étaient entendus dans le quartier général du clan Ben Laden à Djedda. Aux Etats-Unis, Oussama était un assassin de masse; en Arabie saoudite, il était pour beaucoup un héros. La famille s’est adaptée. Elle avait l’habitude. Des comptes à la SBS Après la mort en 1967, dans un accident d’avion, de Mohamed l’austère et le prolifique, Salem, le successeur, a organisé la migration de la famille aux Etats-Unis. Les Ben Laden avaient un pied, et des investissements massifs, dans les deux pays. Salem avait aussi ses entrées à la Maison-Blanche. Et les palais saoudiens lui étaient ouverts: il les avait construits. Le troisième pays des Ben Laden, c’est la Suisse. En 1990, quand les armées irakiennes menaçaient de s’en prendre aux Saoud après l’émir du Koweït, le clan avait pris la précaution de mettre l’essentiel de sa fortune à l’abri. Des comptes avaient été ouverts à la SBS (c’était avant la fusion) au nom de chacun des membres de la famille. Y compris Oussama. Une partie de cette richesse a aussi transité sur des comptes de la banque Al-Taqwa, liée aux Frères musulmans, et à laquelle les policiers américains et suisses se sont énormément intéressés. En Suisse, la gestion de la fortune était organisée par Yeslam, demi-frère d’Oussama, d’une mère iranienne. Des déboires de toutes sortes (dont les confessions de sa femme Carmen) ont incité Yeslam à se faire Genevois. Il a tenté lui aussi de tirer parti du nom: Ben Laden, une marque de vêtements. Ça n’a pas très bien marché. En Arabie saoudite, le roi n’a jamais tenu rigueur à la famille Ben Laden des frasques mondiales du fils rebelle. Les énormes chantiers de transformation de Médine et de La Mecque ont été attribués au groupe fondé par Mohammed. L’explosion du prix du brut, due pour une part à l’insécurité, gonfle sans fin les carnets de commandes.